Chamans et chamanisme: que sont-ils vraiment?

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Qu'est-ce qu'un chaman au XXIe siècle?

Le chamanisme est une pratique qui remonte à la nuit des temps. Il suscite de plus en plus l’attention et la fascination à travers le monde, et notamment dans les cultures dites » modernes », qui se sont coupées de la nature et du lien à la Terre mère.  N’est-ce qu’un phénomène de mode largement amplifié par les réseaux sociaux? Ou bien aussi un vrai phénomène individuel et sociétal, authentique et sincère, spirituel et religieux?  Quant aux sociétés premières et traditionnelles, si beaucoup d’entre elles sont arrivées à préserver les pratiques, pratiquent-elles toutes un chamanisme authentique‹? Que sont réellement les chamans et le chamanisme? Pour répondre à cette question, je vous invite à explorer les origines de cette tradition ancienne et ses différentes manifestations à travers l’histoire.

Chaman et chamanisme
Chaman dans les montagnes du Ladak.

Chamanisme, spiritualité et religions

Il est bon de préciser que l’emploi du terme « religieux » se réfère ici au sens premier du mot, à savoir: « relier ». Le mot latin « religare », qui donne « religion », signifie concrètement relier, allier, assembler, faire lien entre divers éléments. C’est le sens qu’il faut lire dans la phrase de Malraux: « Le XXIe siècle sera religieux, ou ne sera pas ».

Nous sommes donc dans un contexte religieux, mais  très loin de ce que le terme « religion » recouvre depuis l’Antiquité, où les cultes et les spiritualités sont absorbés dans l’exercice d’un pouvoir et d’un contrôle des populations.  Ici,  par le mot « religion » nous parlons d’« alliance », entre ce monde-ci que nous nommons « réalité », et le ou les autres mondes, que nous ne parvenons pas vraiment à nommer. 

Le chamanisme est un phénomène religieux et spirituel centré sur le chaman.  Celui-ci acquiert, possède et développe des capacités multiples par la transe, et l’expérience religieuse extatique. Bien que le répertoire des chamanes varie d’une culture à l’autre, on leur prête généralement la capacité de guérir les malades, de communiquer avec l‘autre monde et, souvent, d’accompagner les âmes des morts.

chamans et chamanisme
Chamans de différents continents.

D'où vient le mot "chaman"?

Le terme chaman vient du mot mandchou-toungouse  « šaman ». Le nom est formé à partir du verbe ša- « savoir » ; un chaman est donc littéralement « celui qui sait« . Si je me réfère à Don Matus, sorcier yaqui autour duquel se développe l’oeuvre de Carlos Castaneda, le vieil homme parle régulièrement « d’homme de connaissance ». D’ailleurs Castaneda, dans son travail de découverte, apprend aussi que ces hommes de connaissance sont aussi bien des hommes, que des femmes de connaissance. Ainsi, les chamans recensés dans les ethnographies historiques sont des femmes, des hommes et des personnes transgenres de tous âges, à partir du milieu de l’enfance.

Comme son étymologie l’indique, le terme ne s’applique au sens strict qu’aux systèmes et phénomènes religieux des peuples du nord de l’Asie et de l’Oural-Altaïque, tels que les Khantys et les Mansis, les Samoyèdes, les Toungouses, les Yukaghirs, les Tchouktches et les Koryaks. Toutefois, le terme « chamanisme » est également utilisé de manière plus générale pour décrire les groupes indigènes dans lesquels les rôles de guérisseur, de chef religieux et de conseiller sont combinés. En ce sens, les chamans sont particulièrement répandus parmi les autres peuples de l’Arctique, les Indiens d’Amérique, les Aborigènes d’Australie et les groupes africains, tels que les San, qui ont conservé leurs cultures traditionnelles jusqu’au XXe siècle. 

Le mot chaman, ou shaman, a largement voyagé et traversé les continents. Ainsi les guérisseurs et hommes de connaissance de la forêt amazonienne se désignent souvent par ce mot.

Chaman pygmée
Chaman pygmée

Cultures d'origine

On partage généralement l’idée que le chamanisme a pris naissance au sein des cultures de chasse et de cueillette, persistant même après l’avènement de l’agriculture dans certaines sociétés d’éleveurs et d’agriculteurs. Il est souvent lié à l’animisme, une perception de la présence d’une multitude d’êtres spirituels dans le monde, prêts à soutenir ou à entraver la vie des humains.

Les opinions divergent quant à l’application du terme « chamanisme » à tous les systèmes religieux où une figure centrale est réputée avoir une connexion directe avec un monde transcendant. Une connexion lui permettant d’exercer des rôles tels que guérisseur ou devin. Comme  cette interaction se réalise généralement à travers un état extatique ou de transe, des phénomènes  provoqués  par des individus dotés de cette capacité où qu’ils soient et quels qu’ils soient, il apparaît que l’essence du chamanisme ne réside pas uniquement dans le phénomène en lui-même, mais plutôt dans des notions spécifiques, des actions et des objets liés à la transe.

chaman et peyotl
Peyotl, plante du désert du Mexique central.

Quelques caractéristiques

Le chamanisme tel qu’il est pratiqué en Asie du Nord se distingue par ses vêtements, ses accessoires et ses rites particuliers, ainsi que par la vision du monde spécifique qui leur est associée. Le chamanisme nord-asiatique du XIXe siècle, qui est généralement considéré comme la forme classique, se caractérisait par les traits suivants :

Une société accepte qu’il existe des personnes spéciales, capables de communiquer directement avec l’autre monde, et qui, de ce fait, possèdent également la capacité de guérir. Ces individus, ou chamans, sont considérés comme étant d’une grande utilité pour la société dans ses relations avec le monde des esprits.
Un chaman est généralement connu pour certaines caractéristiques mentales, telles qu’une personnalité intuitive, sensible, mercurienne ou excentrique, qui peuvent s’accompagner d’un défaut physique, tel qu’une claudication, un doigt ou un orteil supplémentaire, ou un nombre de dents supérieur à la normale.
Les chamans sont censés être assistés par un esprit actif ou un groupe d’esprits ; ils peuvent également avoir un esprit gardien passif présent sous la forme d’un animal ou d’une personne d’un autre sexe, éventuellement en tant que partenaire sexuel.
Les capacités exceptionnelles et le rôle social qui en découle pour le chaman sont censés résulter d’un choix effectué par un ou plusieurs êtres surnaturels. La personne choisie – souvent un adolescent – peut résister à cet appel, parfois pendant des années. Les tortures infligées par les esprits, qui se manifestent sous la forme de maladies physiques ou mentales, brisent la résistance du candidat chaman, qui doit alors accepter sa vocation.

Le chamanisme englobe une variété de pratiques rituelles et de cérémonies. Les chamans utilisent souvent des techniques telles que le voyage chamanique, la danse, le chant, et l’utilisation de plantes psychotropes pour atteindre des états modifiés de conscience. Ces pratiques visent à établir un lien profond avec le monde spirituel et à obtenir des connaissances ou des guérisons. Ils ont une capacité d’improvisation musicale et verbale, de par leur état de connexion et de transe, qui font d’eux des artistes véritables, à l’esprit très créatif. 

Argent et chamanisme
L'appât du gain dévore la planète et encourage le charlatanisme

Légitimité

Dans le phénomène actuel d’expansion des pratiques chamaniques dans les sociétés modernes et urbaines, la question de la légitimité et de sa revendication est récurrente. Il y a plusieurs facteurs qui interviennent dans ce problème. L’un d’eux pourrait être la question de l’égo, et de l’identification à un mental qui prend toute la place. Il y a par exemple un  besoin de reconnaissance, des complexes de supériorité et d’infériorité et d’autres constructions dysfonctionnelles propres à notre culture de concurrence et de comparaison.

Des groupes de chamanisme et de médiumnité, sur les réseaux sociaux, m’ont fait connaître ces manifestations de supériorité et de légitimité spirituelle. Comme celui-là qui vend ses services de guérisseur, a fait sa formation avec une « authentique chamane », en Mongolie. Photos et costumes brillants à l’appui. Des personnes  naïves mordent toujours  à l’hameçon de la fausse authenticité.  Voyager permet de comprendre que l’authenticité n’habite plus forcément les plaines d’Asie, la forêt amazonienne ou les rives du Gange.

Cela est relié à la question de l’argent.  L’argent a gagné les quatre coins du monde, et là où les hommes acceptent l’idée qu’il a une valeur quelconque, ils acceptent l’idée qu’il leur en faut. Alors les hommes commencent à faire tout ce qui est possible pour en gagner. En Afrique, en Amazonie, dans l’Himalaya, de véritables commerces spirituels pour occidentaux et asiatiques fortunés explosent depuis quelques dizaines d’années. En Amérique du Sud, beaucoup d’escrocs deviennent chamans, encouragés par des ONG occidentales, et font prendre de l’ayahuasca aux touristes spirituels souvent au péril de leur vie.

Ainsi malgré son attrait mondial, le chamanisme est souvent entouré de controverses. Certains critiquent les pratiques chamaniques modernes comme des formes de charlatanisme, tandis que d’autres considèrent cela comme une appropriation culturelle. La question de l’authenticité et du respect des traditions autochtones soulève des débats importants dans le contexte actuel.

Tambour chaman
Il existe toujours y compris sur nos territoires, des personnes aux pratiques chamaniques puissantes.

Quand l'Esprit frappe à votre porte

De façon générale,  le chamanisme reste une force dynamique, évoluant au fil du temps et devenant pertinente dans des contextes culturels nouveaux. Le chamanisme est-il possible dans la société moderne? Un témoignage direct, celui de mon père, fait le récit d’un sorcier ( le terme est posé négativement depuis des siècles par l’église catholique) effrayant, portant les attributs d’animaux,  rencontré à la croisée des chemins, en pleine nuit. C’était pendant l’Occupation.  Mon père ne l’a vu qu’une fois, mais a été sidéré, et porte intacte la mémoire vive de cette rencontre hors de l’espace et du temps, qui ne devait rien au hasard. Car l’homme l’attendait au croisement des routes, comme son destin. Pour des raisons propres à notre histoire.  On était à l’époque encore dans une société rurale, et la nature était bien plus présente qu’aujourd’hui. Mais cela veut dire que  ça existait en France. Cela existait donc à plus forte raison aux siècles précédents sans possibilité de le fixer à une période donnée. Il n’ y a aucune raison, logique ni magique, pour que le lien aux forces de la Création et au Grand Esprit soit conditionné à un lieu, une culture, une période. C’est plutôt une profonde question d’être.

Quand on a fait directement et concrètement  l’expérience des forces de la Création, qu’on les nommes esprits, entités, énergies ou divinités, il n’ y a aucun doute sur le fait que ces forces ne s’arrêtent ni à une langue, ni à un lieu, ni à des costumes. Un jour, ou une nuit, souvent à l’adolescence,  « on » vient vous chercher, et c’est une nuit noire qui s’empare de votre vie. Jusqu’à ce que vous acceptiez, pleinement, le destin qui est le votre. Il n’ y a pas d’élus,  et le chemin est tout sauf facile. Mais cela est encore une autre histoire, que je raconte dans un livre en cours d’écriture.

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